Notice sur Rennes-le-Château
et l'abbé Saunière
Rennes, appelé aujourd'hui
Rennes-le-Château pour le distinguer de Rennes-les-Bains,
petite station thermale sise à 4 km et jadis dénommée
les Bains-de-Rennes, est une bourgade médiocre assise
sur la crête d'un plateau qui domine la vallée de l'Aude,
à gauche en montant de Carcassonne à Quillan. Le village
est aujourd'hui à demi couvert de ruines. On distingue
très bien les vestiges d'anciennes fortifications et
on devine aisément qu'en raison de sa situation élevée
et des obstacles naturels qui en rendent l'approche
difficile, il a joué dans le passé un rôle militaire.
On présume - la découverte de squelettes entassés en
divers lieux, près du village et sur le plateau rend
la chose vraisemblable - que Rennes a toujours été habité,
avant que les romains viennent en Gaule.
Rennes accusait 50 feux en
1709 (200 habitants à peu près). Il n'en comptait guère
davantage en 1750. La population n'a cessé de s'accroître
depuis cette date, pour atteindre 450 habitants en 1850
(nouvel exemple de surpeuplement de la zone pré-pyrénéenne
au XIXe siècle). Elle a ensuite lentement décru pour
retomber en 1901 au chiffre de 217 habitants. Le phénomène
de dépopulation qui marque la première moitié du XXe
siècle a sévi ici dans toute son intensité : 103 habitants
en 1946. Il est douteux qu'en ce moment Rennes ait 100
habitants, car les listes électorales ne mentionnent
présentement que 76 inscrits. Dans dix à quinze ans
ce pays sera à peu près désert.
Quand, le 1er juin
1885, le curé Bérenger Saunière fut nommé à la succursale
de Rennes, le village comptait certainement 300 habitants.
Alors âgé de 33 ans, ce prêtre venait d'un petit village
du Pays de Sault, dans les Pyrénées, le Clat, proche
de l'Ariège. Il était né à Montazels, commune jointe
à Couiza, dans la Vallée de l'Aude, à 5 km de Rennes,
le 11 avril 1852. C'était un jeune curé de campagne,
de haute taille, fortement charpenté : un paysan. On
le tenait pour intelligent et modeste. Rien d'anormal
n'était apparu jusque là dans son comportement.
Seule anomalie, il était intervenu
en chaire pendant les élections du printemps de 1885
en disant : «Les élections du 4 octobre ont déjà
donné de magnifiques résultats : la victoire n'est pas
complète encore... Le moment est donc solennel et il
faut employer toutes nos forces contre nos adversaires
: il faut voter et bien voler. Les femmes doivent éclairer
les électeurs peu instruits pour les déterminer à nommer
des défenseurs de la religion. Que le 18 octobre devienne
pour nous une journée de délivrance... » (*).
Ces propos rapportés à la Préfecture déterminent
le préfet à saisir le ministre des Cultes. L'Evêque,
questionné sur la véracité du fait, ayant répondu par
des aveux et se refusant à déplacer le prêtre, le préfet
conclut à une suspension du traitement à la date du
1er avril 1886 (*).
Saunière faisant preuve par la suite d'une tenue correcte,
le traitement lui fut restitué au bout de quelques mois.
Bérenger Saunière succédait
à Antoine Croc, âgé de 64 ans, et avant lui à Charles
Eugène Mocquin âgé de 45 ans, prêtres sans histoire.
A son arrivée, il trouva l'église dans le plus triste
état. L'intérieur était vétuste, en partie ruiné, l'extérieur
dégradé. Le clocher menaçait ruine, la voûte était fissurée,
il pleuvait sur le maître-autel (*).
Renouvelant les démarches de ses prédécesseurs, Saunière
tenta d'obtenir une aide financière pour réparer le
monument.
C'est en 1888 que commencent
les réparations. On remarque dès ce moment dans les
délibérations du conseil de fabrique (Arch. Aude, V-88),
que le curé Saunière avance à la caisse une somme de
518 francs.
Le prêtre avait donc personnellement
de l'argent. Or, on ne lui avait jamais connu de ressources
particulières, et il reste douteux que le montant des
économies qu'il aurait pu réaliser à Rennes sur son
traitement et son casuel atteigne en deux ans et demi
plus de 500 francs, somme élevée à cette époque. Or,
cette libéralité n'est que la première et pas la moins
importante de toutes celles par lesquelles va se singulariser
l'abbé Saunière.
Les réparations concernent,
entre autres, le maître-autel. Or, l'église de Rennes,
de construction très ancienne (1)
si on en croit un rapport
de l'architecte diocésain M. Cals, de Carcassonne
( Arch. Aude, série O-Rennes)*, possédait un autel primitif,
fait d'une table de pierre soutenue en avant par deux
piliers carrés, dont l'un portait des sculptures archaïques*.
Il paraît - plusieurs témoins existent encore, et ils
sont formels - qu'en descellant l'entablement, on découvrit
une cavité emplie de fougère sèche, au milieu de laquelle
on distinguait deux ou trois rouleaux. Il s'agissait
de parchemins dont le curé se saisit. Il déclara - c'est
un témoin qui parle - qu'il allait les lire et
les traduire s'il le pouvait. Le maire, informé
du fait, demanda la traduction au curé ; celui-ci lui
confia peu après une traduction écrite de sa main. Le
texte traduit se rapportait, parait-il, à la construction
de l'église et de l'autel. On ne sait pas ce qu'est
devenu le document.
Le curé aurait descellé également
les dalles qui pavaient l'église et fouillé le sol.
Il existe des témoins de ce fait, dont un vieillard
qui était alors un enfant et suivait le catéchisme.
Une sœur de lait de la bonne
du curé, qui vit encore, ne dissimule pas qu'en réparant
l'église, le curé aurait trouvé un pot (une oule,
terme languedocien) rempli de pièces d'or. Ce fait me
paraît très possible car il est normal que le malheureux
prédécesseur de Saunière, l'abbé Antoine Bigou, un vieillard
de 70 ans, contraint de passer la frontière espagnole
en septembre 1792, ait enfoui là son magot, en même
temps que les objets du culte qu'il voulait soustraire
aux futurs inventaires. Ce n'est évidemment qu'une hypothèse,
mais mes recherches sur Rennes au XVIIe siècle et pendant
l'époque révolutionnaire me permettent de la former.
Toutefois, ce n'était pas un trésor au sens commun du
terme, mais un simple magot.
Quoi qu'il en soit, à partir
de ce moment (la période de 1888 à 1890), le curé va
consentir des dépenses, des libéralités surprenantes.
Le 21 juin 1891, grande solennité
à l'occasion de la première communion. Le curé fait
installer et bénir sur un terrain communal sis devant
la porte de l'église une statue de la Vierge, qu'il
appelle Notre-Dame de Lourdes, et qui a pour socle un
des deux piliers (*)
qui soutenaient jusqu'alors le maître-autel. Comme les
sculptures qui couvrent ce piller sont à demi effacées,
le curé de Rennes avait confié à un artisan de Couiza
la tâche de les approfondir au ciseau. Le résultat ne
fut pas très heureux, comme on peut toujours en juger.
Mais le curé ne s'est pas contenté
d'acquérir cet emplacement qu'il a consacré à la Vierge,
et qui confronte un terrain triangulaire où les fidèles
ont l'habitude de stationner au sortir des offices.
C'est, si l'on veut, un semblant de place publique.
Il a demandé au conseil municipal l'autorisation d'utiliser
ce terrain, de le faire clôturer à ses frais, d'y élever
des monuments religieux... Le 15 février 1891, le conseil
municipal reçoit la demande du prêtre et, en refusant
d'aliéner le terrain qui est et reste communal, en interdisant
au curé d'y construire des couverts*, déclare : l°)
que la place quoique clôturée aux frais et charges du
curé ne lui confère (sic) aucun droit, ni à lui ni à
ses successeurs, ni à la fabrique et reste propriété
communale ; Que qui que ce soit aura le droit de pénétrer
dans l'enclos soit pour visiter les monuments qui y
seront élevés, soit pour se rendre au cimetière ; 2')
que toutes les portes qui Serineront les différentes
entrées de cette place seront pourvues de clés dont
une sera déposée entre les mains du maire ou de son
délégué ; 3') que celle place, une fois clôturée restera
ouverte les dimanches et les jours fériés ainsi que
les jours de fête, soit communales et même nationales,
du lever au coucher du soleil (Arch. Aude, série
O-Rennes). Tout est fait régulièrement, enquête de commodo
et incommodo.
Sur ces entrefaites éclatent
les incidents de juillet 1895.
Le curé avait fait construire
des parterres figurant un petit jardin, il les avait
ornés de concrétions calcaires qu'il avait été chercher
dans des grottes, aux environs du village. Mais, outrepassant
l'avis du conseil municipal, il avait fait élever dans
un angle joignant le cimetière un petit édifice, ce
qui lui était interdit explicitement. L'autorité municipale
n'ayant pas protesté, le curé avait installé dans la
maisonnette sa bibliothèque et son cabinet de travail.
L'édicule était surélevé par rapport au niveau du jardin
et, conformément à la coutume, dans ce pays dépourvu
d'eau, on avait creusé le sol au-dessous de la construction
pour pratiquer une vaste cavité, c'était une citerne.
Or, le 14 juillet 1895, un
incendie d'une violence inouïe ravagea deux ou trois
bâtiments à proximité de l'église. C'étaient des locaux
à usage de grenier, entourés de granges bourrées de
foin. On craignait que le feu ne se propageât aisément
à tout un quartier. Aussi, les pompiers coururent-ils
à la citerne du curé pour prendre de l'eau. Le curé,
qui avait seul la clé du local, leur refusa l'entrée.
Il fallut pénétrer de force dans la maisonnette. Le
lendemain, le curé se rendit à la gendarmerie de Couiza
et déposa une plainte en violation de domicile.
C'en était trop. Le conseil
municipal prit le 20 juillet une nouvelle délibération.
Il ordonna au curé de réintégrer le presbytère et d'installer
ailleurs son cabinet et sa bibliothèque. Le local resterait
fermé seulement au loquet et servirait à entreposer
les vases du parterre. Quant aux issues de la place
publique clôturée, elles ne seraient plus fermées à
clé, même pendant la nuit.
Le curé s'inclina.
Peu de temps auparavant, il
avait provoqué des réclamations à l'autorité préfectorale,
de la part de plusieurs de ses concitoyens. L'abbé Saunière
s'enfermait de nuit dans le cimetière et y procédait
à d'étranges bouleversements. D'ailleurs voici le texte
des deux pétitions qui ont été conservées. et que nous
reproduisons sans en changer un mot :
12 Marsl895
Monsieur le Préfet.
Nous avons l'honneur
de vous prévenir qu'à l'accord du conseil municipal
de Rennes-le-Château, à la réunion qui a eu lieu dimanche
10 mars 1895 à 1 heure de l'après-midi dans la salle
de la mairie, nous, électeurs, protestons qu'à leur
décision le dit travail qu'on donne droit au curé de
continuer n'est d'aucune utilité et que nous joignons
pour appui à la première plainte notre désir d'être
libres et maîtres de soigner chacun les tombes de nos
devanciers qui y reposent et que M. le curé n'ait pas
le droit qu'après que nous avons fait des embellissements
ou placé des croix et des couronnes, que tout soit remué,
levé ou changé dans un coin.
Signé…
Et celle-ci, d'une langue plus
pittoresque encore :
14 Mars 1895
Monsieur le Préfet.
Nous ne sommes pas du
tout contents que le cimetière se travaille surtout
dans les conditions qu'il a été jusqu'ici ; s'il y a
des croix, elles sont enlevées, des pierres sur les
tombes aussi et en même temps ce dit travail ne consiste
ni pour réparations ni rien.
Signé...
(Arch. Aude, série O-Rennes)
On enjoignit donc à l'abbé
Saunière de cesser de bouleverser le cimetière. Mais
qu'y faisait-il ? Pourquoi bouleversait-il les tombes
? Mystère.
Il subvint pourtant aux frais
de restauration du cimetière Il fit construire un mur
de clôture, et l'ébauche d'un ossuaire qu'il n'a pas
achevé. Entre septembre et novembre 1897, on trouve
indication de ses dépenses dans ce qui subsiste des
comptes qu'il a laissés.
En même temps, on acheva les
grandes réparations de l'église. On refit la voûte et
on la peignit entre le 1er novembre 1896
et la fin d'avril 1897. Le curé paya.
Tout cela n'était encore rien.
Le curé habitait le presbytère
qu'il avait fait également réparer. Mais il voulait
construire de vastes édifices.
Dans le courant de l'année
1900, il acquit de plusieurs personnes des terrains
non bâtis sis au sud de l'église et du presbytère, en
bordure du plateau. En même temps, il acheta de vieilles
granges en partie ruinées, bordant la rue, et confrontant
à l'est la cour du presbytère. Mais - il convient de
le préciser - l'abbé Saunière n'acquit pas ces terrains
en son nom : il les acheta au nom de diverses personnes,
notamment de sa servante, Marie Dénarnaud, originaire
de Couiza, de vingt ans plus jeune que lui, au nom de
parents de celles-ci, au nom de diverses personnes de
leurs relations. Et en 1901, il entreprit, sur l'emplacement
des granges de construire une «villa» en pierres de
taille, d'un goût discutable, qu'il appela la villa
Béthanie, de style Renaissance. De l'autre côté de la
rue, sur un vaste terrain, il fit dessiner un jardin,
édifier des serres et des remises.
Ce n'est pas tout.
Entre la bordure du plateau
rocheux, bordure qui avait supporté jadis des fortifications,
et la limite du cimetière et de l'église, le curé possédait
maintenant une large étendue de terrain vague, inégale,
parsemée çà et là d'excroissances rocheuses. Il la fit
remblayer. On y versa des tonnes et des tonnes de terre
meuble, on la tassa. Puis le curé entreprit le gros
œuvre. Il refit l'ancien mur d'enceinte du village suivant
l'angle arrondi du plateau, mur d'une grande épaisseur,
creux et contenant de vastes citernes. A chaque extrémité,
une tour ; l'une modeste, ne dépassant pas le niveau
du rempart et surmontée d'une verrière en forme de belvédère-
l'autre, à deux étages au-dessus du rempart, munie de
créneaux et d'une échauguette. Le tout avec escalier
d'accès double. C'est la tour dite de Magdala. Et sur
tout l'espace ainsi clôturé, il fit dessiner des jardins.
Il installa son cabinet de
travail et sa bibliothèque dans cette tour à étage,
qui dominait le pays et devint bientôt célèbre.
Pour enfermer ses livres, il
fit construire par un négociant en meubles de Carcassonne
quatre bibliothèques d'angle en chêne, au prix de 10
000 F, qu'on disposa en 1908. Cependant, le curé n'élut
pas domicile dans la villa de Béthanie et continua d'habiter
le presbytère que, par acte du 24 mars 1907, il avait
loué à la commune pour un prix de location annuel de
20 francs, et pour cinq ans. Le bail, qui serait tacitement
reconduit, se trouverait résilié de plein droit en cas
de décès ou de déplacement du preneur.
Il démissionna de la succursale
de Rennes le 1er février 1908.
Il avait pris la précaution
de faire construire, dans sa villa de Béthanie, un autel
où il disait sa messe.
Appréhendait-il quelque orage
?
L'homme était fruste, peu instruit
- le goût discutable dont il fait preuve dans ses constructions
et ses restaurations en témoigne amplement -, mais rusé
et étrangement positif. Il se doutait bien que sa conduite
étrange provoquerait chez nombre de ses collègues et
chez ses supérieurs au moins la curiosité. Quelles étaient
ses ressources ? D'où venaient-elles ? Il vivait très
largement. Chez lui, on tenait table ouverte et, postérieurement
à 1900, il n'était pas de semaine où il ne reçut fastueusement.
On faisait état de ses relations avec Emma Calvet, de
l'Opéra, originaire de l'Aveyron, qui venait le voir
à Rennes ; avec des hommes politiques locaux, Dujardin-Beaumetz,
né en 1852, conseiller général de Limoux, député de
l'Aude sans interruption depuis 1889, qui devait être
secrétaire d'état aux beaux-arts. D'autres moins connus,
chefs locaux ou régionaux du parti radical-socialiste,
déjà très puissants dans l'Aude. Avec des notables,
industriels, négociants, Saunière n'avait pas de préjugés
sociaux. Il traitait également bien les ouvriers qui
venaient à Rennes travailler pour son compte. Notamment,
aussi bien à leur arrivée le matin que le midi, ceux-ci
déjeunaient chez lui copieusement ; ils travaillaient
avec joie à Rennes. Saunière tenait un journal de l'ordre
des travaux, et il subsiste quelques feuilles de ses
registres. J'ai pu les compulser. Ainsi recherchait-on
les invitations du curé de Rennes. Certains de ses confrères
avaient pris l'habitude de venir souvent le voir, et
même de séjourner chez lui. Marie Denarnaud était, à
n'en pas douter, une incomparable cuisinière.
On trouvait chez lui une cave
remarquable, connue dans toute la contrée. Les murs
du cellier étaient tapissés de casiers. Quand, dans
un pays quelconque, on citait une année fameuse pour
un cru, le curé commandait quelques bouteilles. Ainsi
voyait-on un casier contenant cinq ou six litres avec
l'étiquette manuscrite: Tokay de l'année X... Chaque
bouteille ma coûté X...F. On consommait chez lui beaucoup
de rhum. On mangeait bien et on buvait sec.
Déjà, à la fin de l'année 1899,
le curé Saunière avait été proposé par l'ordinaire à
l'agrément du préfet pour un persona. La proposition
entraîna, comme il était alors de règle, une enquête
administrative menée par le sous-préfet de Limoux. Le
16 octobre 1899, ce fonctionnaire répond au préfet :
«M. L'abbé Saunière est dans une situation de fortune
aisée. Il n'a pas de charges de famille. Sa conduite
est bonne. Il professe des opinions antigouvernementales.
Attitude: réactionnaire
militant. Avis défavorable. » ( Arch. Aude).
L'abbé Saunière ne fut pas nommé. Mais il n'est pas
certain qu'il ait désiré quitter Rennes.
Son comportement au point de
vue politique, en 1899, dément les relations qu'il aura
cinq ou six ans plus tard avec des hommes de gauche,
au plus fort de la crise, quand il est question de la
séparation de l'église et de l'état. Je crois qu'il
faut expliquer cette anomalie non par un changement
d'attitude, mais par l'effet de la diplomatie et du
savoir-faire du curé de Rennes, monstre d'habilité.
Dans tout ce dont il a été
question jusqu'à présent, la critique ne peut relever
que des anomalies. Cependant, il est un côté par lequel
l'abbé Saunière pouvait à bon droit encourir des reproches.
On avait remarqué, on savait
que le prêtre s'absentait fréquemment et pendant plusieurs
jours sans l'autorisation de l'ordinaire Prévoyant,
il supputait avant de partir la qualité des personnes
qui pourraient lui écrire, et il préparait d'avance
des réponses. Il y en avait pour l'évêque, pour le chancelier
de l'Evêché, pour le grand vicaire, pour des curés ses
collègues. Et sauf les formules qui pouvaient varier,
elles étaient ainsi conçues. Par exemple :
Rennes-le-Chateau, le...
Monseigneur,
.J'ai lu avec le plus
humble respect la lettre que vous me faites l'honneur
de m'écrire et à laquelle je prête la plus filiale attention.
Croyez que l'intérêt de la question que vous soulevé
ne m'échappe pas, mais elle mérite réflexion. Aussi,
souffrez que, pris par une occupation urgente, je remette
à quelques jours ma réponse.
Je vous prie de daigner
agréer, Monseigneur, etc...
Invariablement, quand le curé
de Rennes prenait le chemin de fer, en gare de Couiza,
il prenait la même direction : Perpignan. Plusieurs
témoins l'attestent. Il est permis de penser que, dans
cette ville toute proche et hors du diocèse, il avait
ses intérêts. Il est dommage que l'éloignement de ces
faits ne permette plus de savoir à quelle banque il
s'adressait.
De plus, à certaines périodes,
le curé de Rennes recevait chaque jour une grande quantité
de mandats, - jusqu'à 100 et 150 F par jour -, portant
de petites sommes allant de 5 à 40 F. Des mandats lui
étaient payés à domicile à Rennes. Beaucoup d'autres
lui étaient adressés poste restante à Couiza, où il
allait les monnayer. Une des receveuses qui les lui
payait vit encore.
Ces mandats étaient d'origine
très diverse. La plupart d'entre eux venaient de France
; mais beaucoup aussi de Rhénanie, de Suisse, d'Italie
du nord. Certains, comme en fait foi un fragment de
registre, émanaient de communautés religieuses. Ces
mandats représentaient des intentions de messes.
L'abbé Saunière trafiquait
de la messe.
Tant que
Mgr Félix-Arsène BILLARD fut à la tête du diocèse,
nul ne demanda d'explications à l'abbé Saunière. Mais
quand Mgr de Beauséjour
eut remplacé Mgr
BILLARD, il en fut autrement.
L'attention de l'Evêché fut
attirée par des lettres venant de personnes privées,
qui demandaient si on pouvait avoir confiance en l'abbé
Saunière, et lui confier des intentions de messes. Le
fait n'était pas nouveau et déjà, sous l'autorité de
Mgr BILLARD,
on avait défendu au curé de Rennes de quémander des
intentions de messes hors du diocèse. Or, des demandes
de renseignements arrivaient encore, alors que, d'autre
part, les constructions du curé de Rennes et sa vie
fastueuse - en tout cas très au-dessus de ses moyens
reconnus - provoquaient, dans le clergé et jusqu'au
chef-lieu, des commentaires.
Mgr
de Beauséjour demanda donc à son préposé une justification
de ses ressources. Saunière répondit par des propos
vagues et dilatoires, desquels on conclut qu'il n'avait
pas l'intention de les dévoiler. Une discussion s'ensuivit,
à sens unique, car l'évêque était seul à parler. Saunière
était devenu sourd. Aussi
Mgr de Beauséjour nomma-t-il Saunière à une cure,
dans les Corbières, à Coustouges. Saunière alla visiter
la cure, parut accepter et tout d'un coup écrivit à
son évêque une lettre où il disait en substance : «
Monseigneur, j'ai lu votre lettre avec le plus extrême
respect et j'ai pris connaissance des intentions dont
vous voulez bien me faire-part. Mais si notre religion
nous commande de considérer avant tout nos intérêts
spirituels et si ceux-ci sont assurément là-haut, elle
ne nous ordonne pas de négliger nos intérêts matériels,
qui sont ici-bas. Et les miens sont à Rennes et non
ailleurs. Je vous le déclare, non, Monseigneur, je ne
m'en irai jamais...» Saunière refusait donc
de quitter Rennes, en des termes qui paraissent surprenant
et qui tendent à bouleverser nos idées reçues sur la
discipline ecclésiastique. Quoiqu'il en soit, il se
rendait coupable de rébellion contre son évêque. C'en
était trop. Mgr de
Beauséjour ne pouvait évidemment pas laisser bafouer
son autorité. Le 27 mai 1910, Saunière était traduit
devant l'Officialité du diocèse pour avoir continué,
en dépit d'ordres reçus de l'évêque et des promesses
faites à celui-ci, de demander des messes hors du diocèse.
Cité à comparaître le 16 juillet, Saunière ne se présente
pas. Convoqué le 23 par citation péremptoire, il ne
comparait pas davantage.
Le 23, jugeant par défaut,
l'Officialité rend une sentence le condamnant pour trafic
de messes, dépenses exagérées et non justifiées auxquelles
semblent avoir été consacrés les honoraires de messes
non acquittées, désobéissance à son évêque, à une suspens
a divinis d'une durée d'un mois et à la restitution
des honoraires non acquittées, sans qu'on puisse les
déterminer.
Mais Saunière ayant obtenu de l'évêque la restitutio
causae in integrum, il est cité à nouveau
le 23 août. Il désigne comme avocat Maitre Mis, du barreau
de Limoux, puis le docteur chanoine Huguet, curé de
Espiens, au diocèse d'Agen. Le 15 octobre, sur renvoi
débat contradictoire, Saunière, qui ne s'est pas rendu
à la citation, est représenté par le chanoine Huguet.
Le 5 novembre, la sentence exige que Saunière se rende
dans une maison de retraite pendant dix jours et s'y
livre à des exercices spirituels, qu'il rende des comptes
à son évêque dans le délai d'un mois et qu'il lui fournisse
communication des sommes exactes qu'il a indiquées dans
sa défense.
Le 30 décembre, constatant
que le délai est écoulé sans que Saunière se soit exécuté,
l'Official le cite à comparaître devant l'évêque le
9 janvier 1911 avec ses comptes. Mais Saunière écrit
à Rome pour se faire réintégrer dans la cure de Rennes,
à laquelle il a renoncé volontairement en 1909 par décision
écrite. Il sollicite des délais. Il n'a pas pu faire
la retraite qui était ordonnée, son état de santé ne
le met pas à même d'exécuter les exercices prescrits
: plus encore, il est dans un état tel qu'il ne peut
supporter aucune émotion. On lui enjoint impérativement
de présenter ses comptes par envoi, par poste ou autrement,
s'il ne peut personnellement se présenter. Il est cité
à comparaître de nouveau devant l'Officialité pour avoir
éludé la sentence du 5 novembre 1910.
Saunière attaque alors les
citations.
Mais le 5 décembre, la sentence est
rendue par défaut : il est reconnu coupable de dilapidation
et de détournement de fonds dont il était dépositaire,
condamné à une suspense à divinis de trois mois, et
en tout cas jusqu'à ce qu'il ait opéré la restitution
des sommes détournées, le tout par contumace et sans
appel.
La Semaine Religieuse et le
journal l'Eclair de Montpellier publient à cette date
un communiqué informant les fidèles que Saunière n'a
plus le droit de dire la messe à partir du 5 décembre
1910. Il est privé de ses fonctions sacerdotales.
Pour sa défense, l'inculpé
n'a fourni qu'un document explicite. Le voici :
1. Achat
du terrain |
1.550
F |
2. Restauration
de l'église |
16.200
F |
3. Calvaire
|
11.200
F |
4. Villa
Béthanie |
90.000
F |
5. Terrasse,
jardins |
19.050
F |
6. Tour
Magdala |
40.000
F |
7. Aménagement
du tout |
5.000
F |
8. Ameublement
|
10.000
F |
|
|
Total: |
193000
F |
Il s'agit d'une somme énorme
à cette époque.
Quant aux questions qui avaient
été posées au curé de Rennes par l'Official et dont
nous ne possédons pas l'énoncé, voici les réponses du
curé de Rennes :
1°) Il y a vingt ans,
j'ai pris chez moi une famille composée du père, de
la mère et de deux enfants. Le père et la mère gagnaient
300 francs par mois. Nos fonds étaient mis en commun.
De là une somme économisée de 52 000 francs. La famille
appartenait à l'industrie des chapeaux
2°) Le tronc était destiné
aux visiteurs qui, après avoir entendu mes explications
sur Rennes et accepté mes politesses, récompensaient
ma complaisance par une aumône qui, en définitive, était
un pourboire. Comme les baigneurs de Rennes-les-Bains
étaient nombreux, ceci explique leur générosité.
3°) Donner une date quelconque
pour la loterie.
4°) Mon frère étant prédicateur
avait de nombreuses relations. Il servait d'intermédiaire
à ces générosités. Donnez des dates, si vous le pouvez,
exactes ou non.
5°) Les cartes postales
sont des vues de Rennes-le-Château. Il y en a 31. Tous
les baigneurs prennent la collection complète, soit
3, 1 0 F pour chacun. Ces cartes ont lin tel succès
que je puis à peine leur en fournir. Ces cartes sont
neuves et ma propriété.
6°) Ma collection de
vieux timbres se chiffre par 100.000. Elle est complète
et, pour la vente, je nie conforme aux prix adoptés.
Les amateurs, très heureux de se fournir, ne marchandent
jamais.
7°) Les vieux meubles,
faïences et étoffes sont le résultat de mes fouilles
dans le pays. La vente me dédommage de mes recherches
et de mes courses.
8°) Les bandes et copies,
je les fais faire par de jeunes gens, pour le compte
des journaux et des prospectus. Ils sont satisfaits
du prix que je leur offre et j'ai encore un avantage
sur eux.
9°) Pourquoi ne ferais-je
pas figurer à l'actif les transports gratuits et mon
travail personnel ? N'était-ce pas une économie réelle
pour moi ?
Ce document était certainement
un projet de réponse à l'Official destiné au chanoine
Huguet, avocat du prévenu. Il est douteux qu'il en ait
fait état au procès. Il n'a pu l'utiliser, nous semble-t-il,
que comme aide-mémoire.
Qu'advient-il maintenant du
curé de Rennes ?
Bérenger Saunière sait qu'il
va être interdit. De ce fait, il redoute une diminution
de ses revenus et il ne dissimule pas cette appréhension
dans ses lettres au chanoine Huguet, son avocat, ou
à ses amis. Dès le début de novembre 1911, Saunière
envisage de vendre ce qu'il possède à Rennes et de se
retirer dans une retraite plus modeste et de moindres
frais. « Dans mon endroit natal, lui écrit à cette
date le chanoine Huguet à 1 km de la gare, un de nos
grands chanteurs, Jérôme, avait fait des folies pour
une installation. Un rhume lui a coupé le sifflet. Il
est sans voix, il a un modeste commerce à Paris. Il
veut vendre son établissement. On parle d'une douzaine
de mille francs, et l'installation en vaut soixante.
Dans l'hypothèse, vous tirerez la révérence à Carcassonne
et je vous patronnerais près de mon évêque et vous vivriez
tranquille dans cette situation splendide. Vendez et
ensuite nous verrons ce que vous pourrez faire...»
Le 27 novembre, le curé entre
en rapport avec la banque Petitjean, dont le siège est
à Paris. « Nous ne pouvons que regretter votre
décision, lui écrit-on du siège social, concernant les
frais préliminaires. Nous allons quand même nous occuper
de votre affaire en recourant à nos moyens personnels,
aux conditions que vous nous proposez, mais nous doutons
fort d'y réussir. » En effet, la banque a envoyé
à Rennes un de ses préposés, M. de Bauvière, en poste
à Agen. Le 29 novembre, il écrit à l'abbé Saunière :
« Je ne puis que vous confirmer nos conditions.
La banque Petitjean a coutume de poser ses conditions.
C'est une maison assez ancienne et connue pour savoir
ce qu'elle doit proposer, et n'accepte jamais de contre-proposition
de ses clients. Vous êtes seul juge de votre côté de
ce que vous avez à faire. Pour moi, personnellement,
je n'ai pas à m'occuper de quoi que ce soit en dehors
de la banque. Aucun client ne pourrait m'indemniser
de ce que je perdrais si j'acceptais de m 'occuper d'affaires
en dehors de la maison. C'est d'abord une simple question
d'honnêteté et ensuite et surtout mon intérêt. Inutile
donc de compter sur mon concours, c'est regrettable
et surtout pour vous. »
On devine que Saunière avait
demandé au fondé de pouvoir de la banque Petitjean de
traiter la vente de ses biens pour son compte, sans
y mêler la banque, en promettant bien entendu une commission
substantielle. Mais le sieur de Bauvière était prudent.
L'affaire en resta là.
En octobre 1912, comprenant
qu'on ne lui achèterait pas Rennes, Saunière cherche
un autre moyen de se procurer de l'argent. Il s'adresse
à son ancien avocat, le chanoine Huguet, et lui demande
quelle marche suivre pour entrer en rapport avec le
Crédit Foncier : «Je, comprends, lui répond
le chanoine Huguet votre désir de vous soustraire
aux soucis pécuniaires qui résultent de votre situation.
Vous avez dû avancer la question, si elle n'est pas
déjà conclue. Mais, comme je vous l'avais expliqué,
vous avez reçu la visite d'un délégué du Crédit afin
de faire l'estimation de l'immeuble et d'établir sa
valeur vénale. Dieu veuille que vous ayez réussi...
» Et quelques jours plus tard, le chanoine Huguet
ajoute : « Je souhaite que le Crédit Foncier se
montre accommodant et vous consente un prêt avantageux.
Tout cela dépend en grande partie du rapport qui est
fait. » Le montant du prêt ne fut guère élevé,
car le 31 janvier 1913, le chanoine Huguet écrit à l'abbé
Saunière : «J'ai trouvé dans votre lettre une
telle impression de découragement que j'étais désireux
de remonter un peu votre
esprit. Je devine la déception que vous avez dû éprouver
en apprenant que le Crédit Foncier ne vous accordait
qu'une si petite somme en retour des garanties que vous
lui offriez. Connaissant les habitudes de celle société,
j'en arrive à conclure que l'inspecteur qui est venu
chez vous n'a pas dû rédiger un rapport enthousiaste
et convaincant sur la situation que vous lui présentiez.
Il faut espérer que vous aurez la bonne fortune de trouver
quelque acheteur qui se coiffera de votre immeuble et
que le prix de vente vous dédommagera des sommes considérables
dépensées à votre villa. Sans doute il faut des rentes
pour vivre là haut, mais un amateur qui se lancera dans
cette affaire en aura sûrement, et il aura sur ce sommet
une charmante résidence. »
Nous savons que jamais l'abbé
Saunière ne vendit ses bâtisses et qu'il resta là, gêné,
peut-être besogneux, désormais sans moyens de se procurer
de l'argent.
Il avait même des dettes.
Au temps de sa prospérité,
quand il commandait une marchandise, il versait un acompte
et signait des traites pour le solde. Mais aucune de
ces traites ne dépassait la somme de 500 F. Encore avait-il
soin de les échelonner afin de répartir les échéances
proportionnellement à ses entrées de fonds. Ce fait
nous porte à croire que le trafic de messes produisait
un revenu régulier et que l'abbé savait parfaitement
jusqu'à quel point il pouvait s'engager. Quand la sentence
de l'Officialité mit pour toujours fin à son industrie,
des traites restaient en circulation. Nous pouvons citer
celles qu'il avait lancées en paiement de sa bibliothèque,
commandée en 1908 à M. Noubel, négociant en meubles
à Carcassonne, et livrée quelques mois plus tard. A
partir de 1911, l'abbé Saunière cessa de payer les traites
souscrites, et le solde de son compte n'a jamais été
réglé.
Au moment de la déclaration
de guerre, le 2 août 1914, l'aura du curé de Rennes
était franchement mauvaise. Le docteur Espezel, de Couiza,
proclamait dans les rues de la petite cité et ailleurs,
urbi et orbi, que Saunière était un agent de renseignements
aux gages des Empires Centraux, en quelque sorte un
espion de l'Allemagne ! Il ajoutait, - ce qui nous parait
aujourd'hui ridicule mais qui, à cette époque-là, paraissait
plausible à beaucoup, car l'espionnite sévissait jusque
dans nos régions, - que les terrasses construites à
Rennes n'avaient été faites aussi larges que pour supporter
des pièces d'artillerie ! Les langues allaient leur
train. Les gens se rappelaient en effet avoir vu venir
à Rennes celui qu'ils appelaient l'étranger, et qu'on,
dit avoir été un aristocrate austro-hongrois, sujet
de François Joseph...
Le temps de la splendeur était
à jamais passé. Saunière vieillissait dans son domaine,
entouré des soins de sa servante Marie Denarnaud, encore
jeune et coquette. Un après-midi de janvier 1917, dans
son cabinet de travail de la tour Magdala, il fut frappé
d'une attaque. Informé aussitôt, son confrère le curé
d'Espéraza, un vieillard qui n'entretenait avec Saunière
que des rapports assez froids, monta jusqu'à Rennes
porter au malheureux les derniers sacrements. Il trouva
Saunière abattu, mais lucide et en état de parler. Il
reçut sa confession, Quelques heures après, Saunière
trépassa (*).
Le curé d'Espéraza fut donc
le seul à connaître le secret. Jamais un mot n'est sorti
de sa bouche qui pût mettre des tiers sur la voie de
la vérité. Mais, - nous tenons ces détails d'un prêtre
- les auxiliaires et les amis du curé d'Espéraza remarquèrent
qu'à partir de ce jour-là, le vieux curé ne fut plus
le même homme, il avait manifestement reçu un choc.
Longtemps, Marie Dénarnaud vécut au
presbytère et à la villa Béthanie. Trois mois après
la mort du curé, elle avait renouvelé à son nom le bail
passé jadis entre Saunière et la commune : elle devenait
désormais locataire pour, neuf ans du presbytère de
Rennes, au prix de location de 50 F par an. D'après
le testament que nous connaissons, elle était substituée
au curé de Rennes dans tous les biens de celui-ci: Meubles
et immeubles. Saunière lui avait tout donné sans qu'il
soit procédé à un inventaire auquel, avait-il écrit,
«je veux absolument soustraire ma
légataire universelle » (1912). Elle continuait
à payer les intérêts de la somme prêtée par le Crédit
Foncier. Des reçus en font foi (ceux que nous avons
vus datent de 1935). Marie Dénarnaud vécut gênée. Elle
eut à répondre aux créanciers qui vinrent solliciter
le paiement de factures arriérées ou laissées en souffrance.
Elle fit à certains d'entre eux des versements symboliques
(50 F, 100 F). Puis, on cessa de la persécuter.
Il est exact que, pressée par
la nécessité, elle vendit beaucoup d'objets ; elle en
laissa emporter d'autres. Il est exact que les collections
du curé Saunière furent pillées.
C'est probablement par un acte
de rente viagère qu'elle vendit son bien aux actuels
propriétaires de la villa Béthanie, en 1947. Elle s'éteignit,
en 1953, à un âge avancé.
Que faut-il penser de cette
histoire extraordinaire ? Quel homme fut, en réalité,
le curé de Rennes ?
Il laissait dire, évidemment, qu'il
avait trouvé un trésor. Depuis des siècles existait
dans le pays une légende tenace dont Labouisse-Rochefort,
dans son Voyage à Rennes-les-Bains, écrit en 1803, nous
donne la version la plus authentique. Cette légende
reparut, sous une autre forme, et se déplaça de Rennes-les-Bains
à Rennes-le-Château. Cela faisait l'affaire du curé
de Rennes, puisqu'on dressait ainsi le paravent à l'abri
duquel il pouvait poursuivre en toute tranquillité ses
agissements. Il fit ce qu'il pût pour entretenir la
légende et la fortifier. Il s'agissait d'or gardé par
le Diable. Eh bien, il fit sculpter un diable, gueule
ouverte, ailes déployées, muni d'yeux brillants, qu'il
disposa à l'entrée de son église pour soutenir un bénitier.
Il inspirait une crainte superstitieuse. Ce n'était
pas difficile, dans un pays, réputé depuis le XVIIe
siècle pour s'adonner à la sorcellerie, à la magie.
Cette réputation n'a d'ailleurs pas disparu. Elle est
toujours fondée.
Je ne crois
pas que le curé de Rennes ait été aussi noir qu'on le
dit, ou qu'on le laisse entendre. Et, à bien regarder,
à lire entre les lignes, on découvre l'essentiel, l'explication
du mystère. Au moins les grandes lignes.
Le trafic de messes ? Il l'a
avoué. Il n'y a pas de question à ce sujet. Mais - pour
en revenir aux propos de
Mgr de Beauséjour -, ce trafic, quelle qu'ait été
son importance, n'a pas produit de sommes suffisantes
pour lui permettre d'édifier de telles constructions
et, en même temps de vivre aussi largement. Il y eut
donc autre chose.
Mais cela encore, le curé l'a
écrit. On le trouve dans ses brouillons de mémoires
en défense, qui ne furent jamais produits, dans les
lettres que lui écrivaient, au moment de son procès,
d'autres curés ses amis et qui, eux, savaient.
Le curé de Rennes a reçu des
dons.
Comment a-t-il pu les provoquer
?
Il nous le dit lui-même dans
l'aide mémoire qu'il destinait au chanoine Huguet, son
avocat, au moment du procès. Reprenons le texte : «
Mon frère, a-t-il écrit, étant prédicateur,
avait de nombreuses relations. Il servit d'intermédiaire
à ces générosités. » En effet, on ne parle jamais
du frère du curé de Rennes, l'abbé Alfred Saunière.
Il fut, lui aussi, un bien curieux personnage.
Né en 1855, et de trois ans
plus jeune que son aîné, il fit de bonnes études et
fut nommé vicaire à Alzonne, près de Carcassonne, le
1er juillet 1878. De 1879 à 1893, il enseigna
dans des établissements appartenant à la Compagnie de
Jésus, sans avoir lui-même adhéré à l'ordre. En 1893,
il était professeur au Petit Séminaire de Narbonne et
devint, en 1897, aumônier du patronage de cette ville.
Spécialiste de la prédication, il sortait beaucoup,
voyageait. Il avait lui aussi le goût des affaires.
Lors de la succession des parents Saunière, à Montazels,
c'est à lui qu'échut le bien de famille. Mais ce bien
fut vendu, car Alfred avait fait de mauvaises affaires.
Le malheureux avait la manie d'acheter à tort et à travers.
Il payait s'il pouvait. Il menait en outre une vie immorale.
Et ce furent là deux motifs qui amenèrent son interdiction.
Malade, retiré dans sa maison natale - rachetée par
sa sœur - en 1904, alcoolique, il mourut le 9 septembre
1905.
Est-ce par son intermédiaire
que le curé de Rennes fut mis en rapport avec son ou
ses donateurs ? Il y a tout lieu de le croire. Si ces
dons ne furent pas nombreux, ils furent abondants ou
consistants. Au moment de son procès, Bérenger Saunière
écrivait : «Monseigneur veut absolument savoir
la source, l'origine de tout cet argent qui ma servi
à ces constructions. Il tient absolument à connaître
les noms des personnes qui me l'ont donné, les sommes
qu'elles m'ont confiées et latin pour laquelle, dans
l'intention de ces personnes, cet argent m'a été donné.
Il veut en un mois que
je lui présente un livre de comptes de mes travaux avec
le détail des recettes et des dépenses. Or, ce livre
qu'il me réclame n'existe pas. Il ne me reste que quelques
reçus ou quittances insignifiante, et dans la supposition
que ce livre existerait, je ne nie croirait point obligé
en conscience de le mettre entre ses mains. Il ne saurait
m'obliger non plus à divulguer les noms de mes donateurs
et donatrices, car les faire paraître au jour sans y
être autorisé, serait s'exposer à porter le trouble
dans certaines familles ou ménages dont les membres
m'ont donné, les uns en cachette de leur mari, les autres
de leurs enfants ou de leurs héritiers. »
A la même époque, l'abbé Gayet,
confrère et ami de Saunière, écrit à ce dernier :
« Là, devant ce tribunal, tu connaîtras les chefs d'accusation
et tu te défendras de ton mieux. Tu diras à tes juges
que la conscience ne te reproche rien et que, pour des
raisons d'une importance majeure, tu ne peux divulguer
les noms de tes donateurs. Tu leur diras que lu es prêt
à leu révéler à Monseigneur, mais seulement dans le
secret de la confession. » (12 février 1910).
Je suis persuadé que l'abbé
Saunière n'a pas menti et que, comme il est à la fois
logique et vraisemblable, les dons qu'il a reçus lui
ont seuls permis de mener à bien tant d'entreprises.
Il n'y a dans son extraordinaire
histoire qu'un mystère. Un mystère qu'on n'élucidera
probablement jamais. Quelle est la provenance de ces
dons ?
On en rattache la source principale
à cet étranger, ce germain qui vint à plusieurs
reprises le voir à Rennes. Un personnage hautement titré,
disait-on. Mais qui était-il ? Le saura-t-on jamais
?
Et saura-t-on jamais dans quelle
intention cet individu lui a donné tant d'argent ?
Une hypothèse :
Le curé de Rennes avait bien
reçu de l'argent, mais pas à titre de fondation charitable.
Il rendait service à une ou des personnes, qui, mêlées
dans leur pays à des actes répréhensibles, ou, plus
vraisemblablement à des intrigues politiques, appréhendaient,
si ces actes ou ces intrigues étaient découvertes, de
devoir s'expatrier. Le hasard, probablement Alfred Saunière,
les mit en rapport avec le curé de Rennes. Et ils imaginèrent
de se faire construire par personne interposées, loin
de chez eux, dans un pays perdu, une retraite solitaire,
ignorée et proche d'une frontière. A cela le curé de
Rennes avait grand avantage. Il employait de l'argent
à réparer son église, refaire son cimetière, à satisfaire
quelques fantaisies. Mais, sachant que cela ne durerait
pas toujours il avait créé patiemment, avec l'aide de
son frère, tout un trafic de messes destiné à lui assurer,
avec le temps, une aisance suffisante. Vers 1900, peut-on
penser, l'arrosage était terminé. Mais si une circonstance
accidentelle - le décès du principal intéressé - a rendu
toute liberté au curé de Rennes en le délivrant à jamais
de ses obligations, ne parait-il pas naturel qu'il ait
alors profité personnellement de tout ce qu'il avait
primitivement entrepris pour le compte d'un autre ?
Et qu'il ait donné libre cours à ses fantaisies d'architecte
?
Une fois dépensées à de telles
fins, les sommes qu'il avait reçues épuisées, sa seule
ressource restait son trafic de messes. Il en vécut
largement jusqu'au jour où la curiosité tardive, mais
normale, de son évêque interrompit cette entreprise.
Devenu prêtre interdit, il
n'avait plus les moyens d'entretenir son domaine, de
subvenir aux frais inhérents. Il chercha à vendre, ne
le put point. Il emprunta et réduisit considérablement
son train de vie.
Mais son comportement n'est
nullement celui d'un homme qui a trouvé un trésor et
l'exploite.
Le trésor de Rennes n'existe
pas.
Mais le secret du curé de Rennes
subsiste. Et c'est en lui que réside le mystère.
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